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On a tous en nous quelque chose de Louis-Charles de France |
Selon le philosophe Michel Onfray dans
son ouvrage Décadence :
«Dans le Père Duchesne, Hébert s'en
donne à cœur joie avec Marie-Antoinette : l'abominable femme,
la garce autrichienne, l'infâme Antoinette, la louve autrichienne ou
la guenon du Temple, la tigresse autrichienne ou l'architigresse
d'Autriche. Avant sa mort, Louis XVI était gros Colas, l'ivrogne du
Temple, le dernier tyran, l'ogre royal ; après sa décapitation,
il devient Louis le raccourci. Quant à Louis XVII, huit ans à
l'époque, tué à petit feu dans sa cellule, il fut le petit avorton
du Temple, le petit louveteau du Temple. Loup et guenon, tigresse et
architigresse, ivrogne et louveteau, infâme et abominable, ogre et
tyran : qui voudrait sauver pareille engeance ? Les
journalistes tuent : en préparant le travail des bourreaux.
Le fils de Louis XVI et de
Marie-Antoinette, Louis XVII, a donc été séparé de ses parents
emprisonnés au Temple. Il a été placé à l'étage au-dessus de sa
mère, chez Antoine Simon, un cordonnier totalement illettré :
il s'agit, dans le pur style rousseauiste, de laver le cerveau de
l'héritier du trône, suspecté d'être rempli de monstruosités
royalistes, afin d'y mettre la bonne rudesse citoyenne et le prétendu
bon sens populaire prodigués par le ci-devant citoyen fabriquant de
chaussures. L'enfant est reclus dans une pièce sans lumière et
insalubre;il y vit sans soins et contracte la tuberculose qui
l'emporte le 8 juin 1795 à l'âge de 10 ans. Pour l'heure, nous
sommes le 30 septembre 1793 ; le roi a été décapité le 21
janvier 1793 ; son fils Louis XVII est donc roi depuis que sa
mère a su que le couperet de la guillotine a tranché la nuque de
Louis Capet : elle s'est alors agenouillée devant l'enfant
devenu roi en le reconnaissant comme succédant à son père défunt.
Samson contacte Hébert le journaliste.
Le cordonnier lui donne d'incroyables informations :
Marie-Antoinette aurait eu des relations sexuelles incestueuses avec
son enfant ! Dans le lot de haine et d'insultes répendues dans
la presse depuis des années, ce qui pouvait passer pour une
outrance, un effet rhétorique, devient certitude effective par la
grâce performative du journaliste Hébert. Ce qui était
pamphlétaire et polémique devient vérité et histoire.
Marie-Antoinette est donc bien réellement une truie, une hyène, une
guenon, une tigresse, une louve, un animal sauvage ; il va
falloir songer à l'égorger.
Quels sont les faits ? L'enfant
s'était blessé au testicule en jouant et en se fichant un bâton
dans cette partie de son corps ; un chirurgien dépêché sur
place lui a posé un bandage herniaire. Est-ce le début du
fantasme ? A cette époque , la mère a peut-être appliqué un
baume, une pommade, un onguent pour adoucir la blessure de son enfant
et cicatriser sa plaie. Le petit garçon de huit ans, dit le
cordonnier, a été surpris en train de se masturber. Impossible
disent les royalistes et les puritains de toujours ; possible
pour qui connaît un peu la nature humaine et la complexion sexuée
de tout être vivant.
On ignore tout de ce qui a débouché
sur une déposition signée par l'enfant dans laquelle il confie
avoir été initié à la masturbation par sa mère, mais aussi à
une sexualité partagée avec sa tante. Mais que peut peser la
signature d'un enfant de huit ans au bas d'un document qui semble
extrait de l'un de ces nombreux pamphlets consacrés à salir sa
mère ? Depuis des années on fait de cette femme une goulue
sexuelle, une lesbienne forcenée, une femme qui se fait prendre dans
des fourrés par des palefreniers, une partouzeuse jamais repue, une
hystérique ignorant la satiété, une obsédée sexuelle couchant
nuit et jour avec qui passe par là, une femme qui n'a fait
construire le Trianon que pour y épuiser sexuellement domestiques et
aristocrates, archevèques et femmes du monde.
Hébert s'en ouvre à
Fouquier-Tinville, l'accusateur public du Tribunal révolutionnaire
qui diligente trois interrogatoires : l'enfant, sa sœur, sa
tante. L'enfant raconte « qu'une fois sa mère le fit approcher
d'elle, qu'il en résultât une copulation et qu'il en résultat un
gonflement à un de ses testicules pour lequel il porte un
bandage », il a dit aussi que la chose s'était répétée.
Voilà donc une mère incestueuse et tellement furieuse dans sa
sexualité qu'elle en blesse son fils de huit ans au testicule !
Cette information se trouve en effet sur le procés-verbal signé par
l'enfant et les témoins, dont Hébert, mais elle se trouve dans la
marge, ajoutée après coup...
Au second interrogatoire, on fait
comparaître sa sœur de quinze ans ; elle nie que ces choses
ont eu lieu ; on la confronte au petit roi, qui réitère.
Madame Elisabeth, la tante dépose au troisième ; indignée à
la lecture du procés-verbal, elle refuse de dire quoi que ce soit ;
on la confronte à l'enfant qui redit ce qu'il ne cesse de dire
depuis le début. Pour Hébert, tout cela vaut pour preuve : la
reine a couché avec son fils, quelle autre peine pourrait-il y avoir
pour un pareil forfait, sinon la mort ?
Quand Louis XVII avait quatre ans, sa
mère écrivait pourtant à la gouvernante : « il est très
indiscret ; il répète aisément ce qu'il a entendu dire ;
et souvent sans vouloir mentir, il y ajoute ce que son imagination
lui fait voir. C'est son plus grand défaut sur lequel il faut bien
le corriger. » Convenons qu'il n'aura pas été assez bien
corrigé de ce défaut et aura persisté a répéter ce qu'il a
entendu dire par ses geôliers dans sa cellule ! A quoi il faut
ajouter que, dans sa déposition, Madame Elizabeth affirme qu'en
effet le petit garçon avait l'habitude de se masturber et que sa
mère le réprimandait pour cela.
Comment un enfant de huit ans, séparé
de son père décapité, tenu à l'écart de sa mère depuis des
mois, rééduqué en cellule par le cordonnier Antoine Simon, un
officier municipal illettré de la Commune de Paris, masturbateur
avéré et jadis culpabilisé à la fois par sa mère et par sa
tante, aurait-il pu, vu son très jeune âge, vu les circonstances
carcérales, vu la culpabilité associée à un geste interdit,
réprimandé, donc répréhensible, comment aurait-il pu, donc,
disposer d'un jugement digne de ce nom ? Louis XVII dit ce qui
lui permet d'échapper à la responsabilité individuelle de ce qu'il
sait être une faute selon ses parents, il échappe donc ainsi à la
punition. Ce faisant, il précipite sa mère sous le couteau de la
guillotine.
Marie-Antoinette meurt le 16 octobre
1793. »
Le 8 juin 1795, après trois ans de
captivité, à 10 ans, Louis-Charles de France à l'agonie, en
détresse respiratoire à cause de la tuberculose aurait succombé à
une péritonite, suppuration du tube digestif et infection ulcéreuse
que l'on est en droit d'accorder à un empoisonnement de la part des
bourreaux-geôliers afin d'assassiner le petit roi devenu trop
encombrant. Son autopsie indiquera finalement la tuberculose comme
cause du décès.
L'histoire de la France moderne se
construira donc sur le meurtre de la famille royale, d'un Bourbon et
d'une Autrichienne ainsi que l'agonie respiratoire d'un enfant de 10
ans sur qui des avocats véreux républicains mettrons la
responsabilité de la mort de sa propre mère.
Balzac écrira cyniquement dans La
cousine Bette : « Les sentiments nobles poussés à
l'absolu produisent des résultats semblables à ceux des plus grands
vices. Bonaparte est devenu l'empereur pour avoir mitraillé le
peuple à deux pas de l'endroit où Louis XVI a perdu la monarchie et
la tête pour n'avoir pas laissé versé le sang d'un M.
Sauce. »
Repose en paix petit roi.
Ryan de Lagrange
Ryan de Lagrange